Récit écrit par Imar Hamsruk
Traduit de l'arabe syrien par Chamirame Gascon
Le février 2024
“Printemps” de ma vie
Bon
Il faut que je sois plus réaliste
et que je cesse de faire semblant de pouvoir tout endurer
que je sois honnête pour cette fois
pour une seule fois
mon coeur est devenu très fragile
il n’a plus la capacité de supporter une telle quantité d’inconnues
je n’arrive pas à me dire que mon cœur n’a que dix-sept ans.. Le printemps pour une vie
de toute façon je hais le printemps
oui, je n’ai jamais connu de printemps
et pourtant je le hais
je suis allergique au printemps
Je suis même allergique au “printemps” de ma vie
Qu’est ce qu’une allergie?
Une rougeur dans les yeux
Une sensation d'étouffement…etc
Cela ne ressemblerait-il pas à cette période de ma vie??
Une rougeur intense dans les yeux, en me levant le matin, parce que la sonnerie de l’alarme n’est plus la même
Une sonnerie inconnue et terrifiante à la fois
Le bruit d’un avion que je n’avais jamais vu auparavant
Il a pratiquement frôlé le sommet de l’olivier centenaire planté du côté gauche du jardin de notre maison
Cet arbre, était il le cœur de notre maison??
Peut être. Il était bien planté à gauche.
J’ai ignoré ce bruit, et j’ai couru pour aller au lycée
Le lycée était proche de chez moi, mais ce jour là, le trajet me paraissait très long
Au retour, au milieu de la route, mes jambes se sont figées
La couleur rouge a disparu, elle est devenue grise
Ce fameux bruit a résonné dans l’air
C’était comme si on s’était échangé les rôles, moi et les immeubles autour
Je suis restée figée, alors qu’ils se sont mis à se balancer frénétiquement
Ils se sont envolés
des morceaux de ferrailles enflammés passaient au dessus de ma tête, comme un vol de tourterelles libérées
Enfant, j’ai toujours rêvé de devenir ingénieure, de construire des immeubles
Par contre je n’avais jamais imaginé qu’un immeuble puisse danser en flamme
Ce n’était pas ma scène préférée du film
Malgré tout, je pense que ces ferrailles étaient bienveillantes envers moi
elles ont préféré tomber devant moi, au lieu de me transpercer…
elles ont respecté ma pause, figée au milieu de la route, essayant de traverser vers la maison de l’arbre centenaire
cette scène s’est terminée grâce au commerçant du coin, qui avait l’habitude de me voir faire le même trajet tous les jours
Je peux dire qu’il m’a sauvé la vie
pour que je puisse la continuer, et entamer l'automne de ma vie
cette vie n’a jamais été un printemps
Quoi d’autre ?
Une rougeur dans les yeux
Une sensation d'étouffement?
Je respire encore
Je ne sais pas
J’ai failli rendre mon dernier souffle ce jour là
suis-je dans l’obligation de remercier Dieu parce que je respire encore? même si je respire péniblement?
Bon, soyons honnêtes pour une fois
Je ne suis pas à la fleur de l’âge, je suis à l'automne de mes dix-sept ans
Je n’ai jamais connu de printemps, et je ne le connaîtrai jamais
Je déteste le printemps, je suis extrêmement allergique
au printemps
aux armes chimiques
au bruit des avions
aux immeubles dansants
et je pense que le pissenlit brûlé au bord de la route ce jour là
était l’unique fleur de mon âge..
Cette prose décrit ce qui m’est arrivé à Rakka